Migrations privilégiées des diasporas sénégalaises et africaines “de retour” d’Europe et d’Amérique du Nord au Sénégal : appartenances, ambivalences, distinctions

Ce projet de recherche souhaite analyser de manière novatrice les enjeux sociaux des mobilités et migrations relatives à l’Afrique et ses diasporas. La majorité des études dans ce champ s’intéresse aux flux de populations qui ont quitté l’Afrique pour d’autres régions du monde. Or, ce continent présente des réalités migratoires complexes, sur le plan interne et par les flux qu’il accueille. Ceux qui viennent du « Nord » existent de longue date et invitent de plus en plus à tenir compte d’une catégorie restée peu visibles en sciences sociales : les acteurs issus des diasporas africaines qui s’installent ou se réinstallent en Afrique, dans leur pays de naissance ou en dehors, qu’ils soient nés sur ce continent ou issus d’une seconde ou troisième génération migratoire en Occident. Ces acteurs possèdent une nationalité ou une ascendance africaine et résident dans les capitales subsahariennes pour la plupart, après une formation ou une carrière dans un pays du « Nord ». Ils occupent des postes de cadres dans des multinationales, des banques, dans les secteurs de l’aide internationale, de l’enseignement privé et universitaire, du journalisme, sur le marché de l’art ou dans des institutions publiques. Ils sont parfois sous contrat d’expatriation, s’investissent dans des activités de sous-traitance ou dans des innovations entrepreneuriales. Les media se sont récemment intéressés à ce phénomène, qualifiant parfois les individus concernés de « repats » pour les distinguer des « expats ». Des séries télévisées évoquent aussi ce sujet, ainsi que la littérature, qui abordait déjà sous plusieurs formes dès les années 1960 les retours de ressortissants nationaux dans leur pays de naissance.

Les circulations des diasporas africaines du « Nord » vers l’Afrique ne sont pas récentes mais ont connu des phases spécifiques liées aux histoires locales et dynamiques régionales, aux politiques migratoires, aux effets des ajustements structurels, à l’augmentation du nombre de diplômés africains et d’acteurs binationaux depuis les Indépendances, et à la diminution des postes de coopérants et d’expatriés occidentaux classiques. Les travaux en sciences sociales qui étudient les compétences des diasporas africaines installées au « Nord » et leur participation à des partenariats sur le continent présentent des acteurs dotés en capitaux (économiques, symboliques, culturels et sociaux). Cependant, leur (ré)installation en Afrique n’est pas investiguée. Les récentes études autour de retours migratoires africains, peu nombreuses, ont davantage documenté des trajectoires liées à des échecs ou expulsions, des accompagnements institutionnels, des difficultés de réinsertion locale, des investissements commerciaux et à la retraite. Elles se sont en outre intéressées à des acteurs nationaux, appartenant à des classes sociales moyennes, modestes et défavorisées, pour lesquels le succès du retour est inexistant ou mitigé, ou à des élites parties qui peuvent subir un déclassement social. Les trajectoires qui présentent l’acquisition, la consolidation et/ou l’augmentation de privilèges par une (ré)installation en Afrique passent plus inaperçues. Or, elles permettent une autre appréhension des mouvements transnationaux d’élites et interrogent la production et la reproduction de cette catégorie d’acteurs, y compris quand ils n’appartiennent pas aux classes supérieures de leurs pays de provenance.

Ces trajectoires interrogent aussi la notion de diaspora. L’idée de retour à un foyer d’origine, réel ou imaginé, suite à un déplacement, parfois traumatisant, et à une dispersion sur plusieurs territoires, construit sur une mémoire collective et l’expérience d’une exclusion sociale en tant que minorité, en fait un critère important de sa définition. Aussi, en s’intéressant à des retours effectifs et réussis, cette recherche examine ce qu’ils disent de la notion de diaspora. Elle explore ce qu’ils impliquent en termes de rapports sociaux, économiques et identitaires vis-à-vis du pays de naissance ou d’ascendance dans lequel les acteurs se (ré)installent, ou vis-à-vis du pays de destination choisi s’ils n’ont pas de liens personnels avec celui-ci. Elle analyse les modes d’appartenance qui se font jour, les aspects du retour (dé)mythifiés, les représentations et labellisations locales de ces acteurs, et la façon dont ils négocient les enjeux de la postcolonialité.

Le Sénégal est une société construite sur la longue durée par une diversité de flux d’émigration et d’immigration. Leur étude a suivi le cadre général des sciences sociales concernant l’Afrique. L’histoire du Sénégal permet pourtant de constater des mobilités et migrations provenant d’Europe et d’Amérique du Nord, qui ont tracé les routes contemporaines diasporiques, majoritairement francophones, à destination de ce pays. Pour comprendre la (ré)installation d’acteurs (bi)nationaux et africains d’Occident et la construction sociale de privilèges dans leurs relations à la société sénégalaise, ce projet part des aspects classiques qui organisent les modes de résidence dans une société d’accueil : le passage des frontières, la domiciliation, l’établissement de ressources pérennes, les enjeux de nationalité, les pratiques de loisir et les sociabilités qui en découlent. A ce titre, les intentions et démarches de retour vers les diasporas africaines du « Nord » sont aussi prises en compte : appartenir localement à un milieu d’élite donne la possibilité de repartir. Pour chacun des aspects abordés, une attention particulière est portée aux acteurs sénégalais bi/trinationaux et uninationaux revenus dans leur pays de naissance ou d’ascendance. Leurs positions sociales, réseaux professionnels, classes d’âge et le moment de leur trajectoire choisi pour revenir éclairent plus précisément les pratiques d’acteurs d’autres diasporas africaines venant des mêmes pays occidentaux.

Hélène Quashie est socio-anthropologue, chercheure associée en accueil au LARTES-IFAN Ch.A.Diop à Dakar, titulaire d’un doctorat de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Institut des Mondes africains). Ses travaux s’intéressent aux mobilités et migrations à destination de l’Afrique subsaharienne au départ d’Europe et d’Amérique du Nord. Ils explorent les labilités des rapports sociaux de classe, de « race », de genre et d’ethnicité que ces parcours construisent dans les sociétés d’accueil, à travers le tourisme et l’entrepreneuriat touristique, les études supérieures, les loisirs urbains, l’enseignement privé, le volontariat, le champ bureaucratique, le domaine culturel et patrimonial.